Patagonie argentine : des escales inattendues

 


Déjà le printemps, il est temps de partir…

L’été austral approche : finis les préparatifs, il est temps d’hisser les voiles et de descendre plein sud ! En novembre, nous quittons Buenos Aires pour une longue descente le long de la côte argentine. Notre objectif est d’atteindre Ushuaïa pour Noël afin d’y croiser le frère de Claire et d’avoir assez de temps en janvier et février pour une longue croisière en Antarctique.

 

Les lions de mer au port de Mar del Plata

 

A Mar del Plata, nous retrouvons Valère qui arrive de France les malles pleines d’un radar, de mousquetons et de médicaments. Il est venu en renfort comme équipier pour cette mission Antarctique que nous préparons en secret depuis cinq mois. Dès Mar del Plata, nous testons l’équipage en trio et passons Anao au galop d’essai pour les navigations hauturières du Grand Sud réputées houleuses, humides et ventées. Le constat est positif : Anao se comporte bien dans le gros temps et les améliorations apportées au bateau améliorent réellement la vie à bord.

 

 


San Blas

San Blas est petit village de pêcheurs d’une centaine d’âmes dont l’activité principale gravite autour de la pêche sportive. Nous nous délectons d’huîtres géantes à la sauce salicorne. Il suffit de se baisser, tout est à portée de main ! Nous nous ferons également inviter par un vieil Anglais vivant dans la ferme voisine depuis des générations. Au coin du feu avec les membres de sa famille, nous attendrons – la salive aux lèvres – que rôtisse sur sa broche le fameux cordero patagonico, un demi-agneau dégoulinant de graisse cuit à la perfection dans les braises. L’asado (ou plat de viande grillée typique de l’Argentine) est une tradition héritée de l’histoire gaucho.

 

Après un échouage sur un banc de sable au milieu de la lagune, nous resterons 10 jours dans ce mouillage. Bien protégé du vent, il s’avérera un bon abri en attendant de laisser passer un gros coup de sud.

Un moulin à vent sorti d’un Western, des plaines vides à perte de vue et une route qui appelle à marcher, voici le visage typique de la Patagonie atlantique.

 


Caleta Horno

Caleta Horno est un havre de paix en pleine nature dans un canyon ultra protégé du vent et de la mer. C’est un repaire pour tous les voiliers qui s’aventurent dans le Sud. Pas un village en vue. Pas un chemin qui n’arrive jusqu’ici. Le sentiment d’être seuls au monde commence à se faire ressentir intimement pour chacun de nous.

 

Nous nous essayons à quelques tours de cerf-volant du haut des falaises de ce canyon à la roche orangée.

Nous profitons du marnage et des conditions de vent idéales pour échouer Anao en vue d’un petit nettoyage de carène. Passe-coques, speedo et sondeur sont contrôlés par la même occasion.

 

 


Ile des Etats

Après six jours de mer, nous faisons escale à l’île des Etats qui est séparée de la Terre de Feu par le Détroit de Lemaire. Grandiose et austère, cette île de 65 kilomètres de long est une réserve naturelle intouchée. Ses somments rocheux sont battus toute l’année par les vents des cinquantièmes rugissants. Il y fait froid, entre 0 et 5°. Il y pleut ou neige 300 jours par an. Et il y vente comme au Cap Horn, soit parfois jusqu’à 300 k/h.

Une atmosphère mi-magique mi-lugubre se dégage de cette terre insulaire. Nous découvrons ébahis la forêt primaire d’hêtres de Magellan ainsi que les milliers d’oiseaux et de mammifères marins qui peuplent les berges et les rochers à fleur d’eau. Le sol est recouvert de lichens, de mousses et d’arbustes bas dont les racines sont entremêlées pour résister aux vents décoiffants ! L’endroit est tellement humide et la flore si dense que le sol spongieux happe nos pieds qui s’enfoncent parfois jusqu’aux genoux dans des trous végétaux insoupçonnés. Les falaises qui tombent à pic dans la mer écumante sont impressionnantes. Pour la première fois, nous avons le sentiment de saisir ce à quoi la Terre a pu ressembler avant que l’homme ne la modèle de sa main de géant.

Mais le plus fou reste à venir. Dans la baie la plus à l’est de l’île, nous passons une nuit dans le Phare du bout du monde. A la lumière des lampes à pétrole, allongés sur des lits de camps bien au chaud sous de lourdes couvertures de laine, nous sommes aux anges. Evoqué par Jules Verne dans un livre éponyme, ce phare était en ruine depuis l’abandon du bagne en 1902. Jusqu’au jour où André Bronner, Rochelais d’adoption, retrouve ses vestiges et se met en tête de le reconstruire à l’identique !

Pourtant, l’histoire d’amour entre cet homme et l’île était loin d’être écrite. Surnommé « Yul » par ses potes voileux en référence à l’acteur américain Yul Brynner, notre homme se rend souvent à Ushuaïa et côtoie les marins qui opèrent en charter dans la région. Tombé par hasard sur le roman de Jules Verne, Yul décide un jour de vérifier sur place l’existence du bâtiment. Comme prévu, ses coéquipiers et lui retrouvent le phare en ruine. Suite à cela, Yul décide de partir seul en randonnée et donne rendez-vous à ses amis dans la baie voisine le soir-même. Parti en pull, jeans, k-way et baskets, il ne sait pas que sa balade se transformera au cauchemar. Les chemins qui existaient du temps du bagne ont disparu tant la végétation a repris ses droits. Il se perd, se laisse surprendre par les conditions météo extrêmes et erre pendant cinq jours sur l’île. Ses chaussures rendent l’âme et il finira pieds nus son épopée à travers la dense végétation humide et les épisodes de brouillard qui le désorientent. S’hydratant de neige fondue pour survivre, il finit par trouver du secours à la base militaire argentine, très affaibli par la faim et le froid. Mais loin de l’éloigner à jamais de ce lieu maudit, sa mésaventure se transformera en fascination pour l’île.

L’année suivante, il revient avec arc, filet de pêche, tente et provisions pour une véritable exploration de trois mois en solitaire. Il trouve refuge dans une grotte quelques temps puis décide de se construire une cabane dans un arbre, luttant continuellement contre l’humidité, le froid et le vent en Robinson des temps modernes. C’est lors d’un songe éveillé au pied des ruines du phare qu’il imagine le reconstruire.

 

Le Phare du bout du monde, seule construction de l’île en dehors du baraquement des militaires argentins.

 

Tombé fou amoureux de l’île, le projet du Phare ne le quitte plus. A travers cette aventure de reconstruction, Yul souhaite favoriser les échanges culturels entre la France et l’Argentine. Il obtient des appuis des deux côtés de l’Atlantique. L’association du Phare du Bout du Monde se créé à La Rochelle (autour de 500 membres). En visite en Argentine, c’est Jacques Chirac en personne qui offrira symboliquement le livre de Jules Verne au président argentin de l’époque. Des entreprises de l’Ouest contribuent à l’apport des vingt tonnes de bois et de zinc nécessaires à la reconstruction et fabriquent les pièces à assembler en atelier.

Yul réunit une équipe de dix amis composée de charpentiers, menuisiers, artistes peintres, musiciens et photographes. Ce sont dans des conditions climatiques difficiles qu’ils remettront le bâtiment sur pied en cinq semaines durant l’été austral 1998. Depuis, le phare brille dans la nuit noire. La boucle ne sera finalement bouclée qu’en 2000 lorsque Yul inaugurera à la Rochelle une seconde réplique du Phare du bout du monde, sur pilotis cette fois.

Celui de l’île des Etats se veut un abri pour d’éventuels naufragés, mais c’est avant tout un lieu mythique pour les marins du Grand Sud qui y laissent vivres, photos, étendards et souvenirs. Le temps de boire un coup de niôle face à la mer et de laisser ses impressions dans le précieux Livre des visiteurs, on se sent hors du monde. Les peuples aborigènes mangeant des coquillages à bord de leurs canoës, les naufragés d’infortune de toutes les nations, les bagnards isolés survivant des années, André Bronner luttant en pleine nature, les marins en partance ou en provenance du Cap Horn : là-bas, on voit tout, on comprend tout, le cœur serré et les yeux dévorant la mer.

 

 

Nous sommes très heureux d’avoir fait escale à l’île des Etats qui n’était pas prévue au programme.

Vêtements, lits de camps, lampes à pétrole, vivres, livres, photos et souvenirs, on se croirait à la maison !

 

 


Le Canal Beagle et Ushuaïa

Nous sommes arrivés à bon port. Ushuaïa, enfin. Nous allons pouvoir passer les fêtes de Noêl entre amis et approvisionner Anao pour le départ qui approche en Antarctique.

 

Navigation au près dans le Canal Beagle : le vent d’Ouest, c’est la routine !

Le canal Beagle et ses animaux, phoques, otaries et cormorans.

Les chevaux sauvages s’envolent à notre arrivée au mouillage.

Balades dans une ambiance de Far West.

A Ushuaïa, nous retrouvons le frère de Claire et son ami Eliot partis en road trip en Amérique du sud à moto.

Près de Puerto Williams, les lumières enchanteresses de Patagonie font vibrer les falaises de l’île Gable.