Destination ANTARCTIQUE

Un mois en Antarctique en images

 

Janvier – Février 2018

Équipage : Adrien, Claire, Jalil, et Valère, merci les gars !!

 

 

 


Le grand saut au paradis blanc

 

Un matin, c’est le bon, c’est maintenant, il faut y aller. Comme pour un accouchement, ce sera ce matin là et pas un autre.

Un dernier signe de main à Calypso, la copine d’Adrien qui reste à la marina et nous entrons déjà dans le canal Beagle. Il fait 7°, il ne pleut pas. La lumière patagonne, subtile et pastelle, illumine la forêt primaire de Terre de feu. La météo semble clémente, Jalil décide de filer au plus vite, le passage de Drake ayant la triste réputation d’être un endroit malfamé pour les marins… On envoie de la toile une fois avoir dépassé l’île de Lennox. D’immenses albatros passent au dessus de nos têtes. D’une envergure de trois mètres, leurs ombres à pic recouvrent le pont d’Anao dans toute sa largeur. La mer est calme et le vent régulier, avec 20 nœuds de nord-est Anao marche bien et avale 170 milles nautiques par jour comme un bon soldat. Le poêle ronronne, les quarts s’enchaînent, tout va bien.

Au bout de deux jours, la pluie s’installe, puis la neige. La température baisse brutalement. Il fait autour de 1°. Les vaigrages de notre cabine, mal isolés, suintent de la condensation mais le poêle permet de garder une chaleur agréable à l’intérieur et de faire sécher les vêtements. Anao est superbe dans cette mer gris bleuté. Nous sommes fiers d’avoir osé rêver de l’Antarctique, de nous être motivés, documentés, organisés et d’avoir préparé le bateau pour cette croisière. Après un court épisode de dix heures au près, on finit sur une allure au bon plein puis au travers par 10 nœuds. La fenêtre météo aura été fabuleuse. 

Adrien nous sort de nos couchettes : « les gars, premier iceberg en vue !! ». Il est énorme… Et dire que nous ne voyons qu’un neuvième de son volume. Nous n’en croyons pas nos yeux. Juste derrière, quatre icebergs à la glace bleutée et lumineuse flottent sur l’océan gris anthracite. Ils semblent en lévitation dans l’espace. Pour compléter ce tableau fabuleux, une ligne orangée fine comme un trait de crayon à lèvres, souligne la présence du soleil qui d’ailleurs ne se couche plus. 

 

L’île Smith est en vue, tel le mont Fuji posé sur l’eau. Quelques heures plus tard, c’est une arrivée douce sous voile à l’île de la Déception : nous n’aurions pas pu rêver mieux.

 

Pour fêter notre arrivée, nous nous offrons un Fernet Coca, fameux cocktail argentin, frappé à la glace millénaire d’Antarctique !

Manger et cuisiner occupe une grande place dans le quotidien des équipages, surtout lorsqu’il fait froid dehors. En plus des classiques plats de pâtes, du riz et de semoule, nous nous sommes régalé de soupes de courge et des tajines marocains, de pommes de terre sautées et de purée (la patate, c’est la vie), de tartes aux légumes et de pizzas maison, de crêpes et de flans aux œufs… et bien sûr de tartines de pain frais élaboré à bord tous les jours. Sans oublier les chocolats chauds, les p’tits punchs et les bonnes bouteilles de rouge !

 

 

 


Île de la Déception, la mal nommée…

 

Voici notre première escale à l’île de la Déception dans les Shetlands du Sud après 4 jours et demi de mer. Haut lieu du tourisme en Antarctique, c’est l’un des sites qui rassemble le plus de vestiges de l’époque baleinière en péninsule. Vous voyez le tout petit point noir dans la baie ? C’est Anao ! 

Cette île n’est autre qu’un cratère de volcan effondré dont le diamètre mesure 12 kilomètres dans sa partie la plus large. Le mélange de cendres et de neige donne un aspect sombre, lugubre, mais aussi magique au lieu. Les lumières australes fusionnent entre elles, se réfléchissent sur l’eau, la glace et les pentes enneigées, et leur rendu cotonneux apporte au décor des allures de tableau impressionniste. L’île est un refuge populaire pour les marins depuis le début du XIXème siècle. En 1914, treize navires chiliens et norvégiens y sont basés en permanence. Il faut s’imaginer des centaines de gaillards pêchant la baleine au large, dans le froid et la glace, dépeçant les carcasses sur la plage, dans l’odeur pestilentielle de la chair en décomposition et avec l’eau de la baie rouge de sang. L’histoire raconte aussi que les pêcheurs utilisaient les manchots sur place pour se faire des… briques à chauffer ! Riches en graisse, les manchots étaient capturés puis « compressés » dans un sorte d’étau ; on mettait enfin feu à la brique animale fraîchement constituée.

 

Bienvenue à la Baie des baleiniers : des os de baleine dans le sable, des restes de barques tirées sur la plage, des entrepôts et des citernes… Non, ce n’est pas un décor de film de Tim Burton, c’est bien une ancienne base baleinière fermée en 1931.

L’huile de baleine était traitée dans des chaudières puis stockée dans de grandes citernes en fer. Pendant la Grande Dépression, le prix de l’huile de baleine chute dramatiquement, rendant la station sur l’île non rentable. Les bâtiments sont abandonnés en l’état. De cette époque demeure également le cimetière où 35 hommes sont enterrés, mais celui-ci n’est plus visible car il a été recouvert de lave lors de l’éruption de 1969. Le volcan, toujours en activité, est jugé dangereux pour établir une base scientifique à l’année. Aussi, seules deux petites bases, l’une espagnole (Gabriel de Castille) et l’autre argentine (Decepción) sont ouvertes l’été pour une poignée de scientifiques.

 

Sur les hauteurs de Baily Head, nous découvrons une immense colonie de manchots à jugulaire. Entre mer et montagne, les icebergs flottent au loin sur le détroit de Bransfield. Le paysage n’est pas beau, non, il est tout simplement spectaculaire. 

Des milliers de manchots sont là à couver leurs petits qui sont gris et tout ébouriffés avant d’avoir leur pelage adulte. Ils montent et descendent à côté de nous, en file indienne. Parfois, l’un deux s’approche jusqu’à un mètre. Jamais plus, question de zone de sécurité. Il nous regarde d’un coup de tête vif, à gauche, à droite. Il semblerait qu’il ne puisse pas nous regarder de face avec les deux yeux en même temps ! Leur démarche pataude est attendrissante et leur comportement grégaire à mourir de rire.

 

Un manchot à jugulaire éclaboussé par les déjections jaunâtres d’un de ses congénères.

 

Le courageux Valère ira tenter un bain dans les sources d’eau chaude de la baie. Suffit de creuser un trou, rien de plus simple, mais gare aux brûlures pour ceux qui ne mélangeraient pas l’eau de source (45°) à l’eau de mer (2°) !

 

 

 


La glace dans tous ses états

 

 

On reprend la mer : 65 milles nautiques nous séparent encore de la péninsule antarctique à proprement parler. Ci-dessus le premier bergy-bit que nous ne résisterons pas d’escalader à tour de rôle, heureux comme des gosses. L’Antarctique, au fond, c’est un terrain de jeu pour grands enfants !

Les icebergs et les bergy-bits (morceaux plus petits résultant d’icebergs disloqués) que nous croisons sont impressionnants par leur diversité de formes et de taille. Ici l’opéra de Sydney, là les pics de Cappadoce, plus loin encore la trompe d’un éléphant ! N’est-ce pas là le résultat de la main d’un artiste céleste, d’un Dieu créatif et joyeux, ayant laissé libre court à son imagination ?

 

Chaque scène est plus belle que la précédente. Nous sommes submergés d’émotion. Tant de préparation et de persévérance valaient la peine.

L’Antarctique est un pays d’illusions féeriques pour le marin novice. Nos yeux ne sont pas encore habitués à cet univers minéral de glace et de neige. Les nuances de blanc perturbent l’appréciation des distances et nous doutons parfois de ce que nous voyons. Une tache sombre au loin sur une falaise de glace : est-ce une arche naturelle ou un endroit de roche où la neige aurait fondue ? Une forme sombre à la surface de l’eau : est-ce un animal ou un bout de glace noire ? Plus rien de connu : nous sommes dans un autre monde.

 

Par erreur, nous mouillons trop près d’une falaise de glace. Sans crier gare, des blocs s’en détachent dans un bruit assourdissant, créant sur leur passage une jolie houle ! S’en suit un éparpillement rapide de morceaux de glace dans le mouillage. En quelques minutes nous sommes encerclés par les growlers (plus petits qu’un bergy-bit) et de brash (débris de glace) !

Il est assez déconcertant d’entendre la glace choquer la coque du bateau. Au début, inquiets, nous sautions sur le pont pour voir ce qui s’y passait. Avec le temps, ce tintement métallique sur la coque en aluminium deviendra plus familier.

 

Regarder un iceberg, c’est prendre la mesure du temps.

Ces fantastiques épaves vivantes s’échouent, se retournent et se brisent. Elles dérivent lentement au gré des courants et se balancent en harmonie avec les vagues. Le soleil, le vent, la pluie, la neige, les animaux, les gels successifs au sein de la banquise : tout ceci modèle la glace continuellement et sur des années. Se dessinent alors plis, stries et martèlement d’une incomparable beauté. La glace vit. La glace chante. Plus fascinante encore que les animaux, c’est elle qui nous subjuguera lors de cette croisière. Et c’est d’elle dont nous parlerons encore et encore assis dans le cockpit sous les étoiles.

Si la glace est blanche, elle est dite « jeune », car elle contient encore beaucoup d’air emprisonné en son cœur. Cependant, à mesure que la glace est écrasée par le poids de nouvelles précipitations de neige qui s’accumulent, se compactent et gèlent au dessus d’elle, l’air emprisonné initialement se voit peu à peu chassé. La glace devient alors plus dense et transparente. Traversée par la lumière du Soleil, elle absorbe toutes les couleurs sauf le bleu qu’elle renvoie et que nous voyons alors comme seule couleur. Ainsi une glace bleue est synonyme de glace ancienne.

 

Nous aurons à plusieurs reprises la joie de faire entrer Anao au cœur d’icebergs en forme de demi-lune. Un œil sur le sondeur et tout va bien.

 

Un pied sur un iceberg pour venir approcher deux phoques crabiers en pleine sieste.

Ils se meuvent avec difficulté, grognent mollement à notre approche mais ne bougent pas pour autant. Le nom vernaculaire de phoque crabier provient de la couleur des carapaces de krill trouvées dans les excréments orangés de l’animal ; carapaces prises à l’époque pour celles de crabes… D’où la tâche rouge faisant penser à du sang sur la glace, mais il n’en est rien ! Plus étonnant encore, bien qu’il ne vive qu’en Antarctique, le phoque crabier serait le troisième mammifère le plus représenté sur la planète après l’homme et le rat. On estime sa population entre 20 et 45 millions d’individus.

 

Encore et toujours des icebergs plus magnifiques les uns que les autres. Certains possèdent des bassins intérieurs, d’autres des « pieds » sous-marins. Entre les icebergs tabulaires plats et rectilignes, ceux dotés de dômes et de pics, ceux portant des voûtes spectaculaires, on ne sait plus où donner de la tête. Il semblerait qu’une armée de sculpteurs italiens se soit fait compétition en secret au royaume des glaces et des illusions.

 

Nous sautons dans l’annexe à la moindre occasion. Irrésistiblement attirés par ces merveilles glacées, nous ne nous refusons jamais de passer au travers par la grande porte.

 

Ici la manœuvre est périlleuse vu la hauteur de la vague ! Mais plein gaz, ça passe toujours !

 

La mer a parfois tellement creusé la base des icebergs qu’il est possible d’y passer en dessous en zodiac.

 

Voici l’un des plus extraordinaires icebergs rencontré dans le Cimetière des icebergs (Port Charcot) pendant toute notre croisière. Ses quatre voûtes monumentales s’entrelacent dans une harmonie exceptionnelle. Après l’avoir contourné et observé sous toutes les coutures, nous avons réalisé que son plafond central s’était effondré à mi-hauteur et tenait en suspension par le biais du Saint-Esprit. 

Cette glace que l’on voit n’est autre qu’une partie de glacier détachée de l’inlandsis (calotte glaciaire de 2000 mètres d’épaisseur en moyenne) ou d’un ice-field. (immense champ de glace). Les glaciers se forment grâce aux précipitations de neige qui s’accumulent et se compactent durant des milliers d’années. Mais contrairement à ce que l’on pourrait croire, il neige peu en Antarctique, surtout dans le centre du continent qui est un véritablement désert. Cette partie recevrait à peine l’équivalent de 3 cm de neige par an. La péninsule antarctique où nous avons navigué est davantage arrosée du fait de sa proximité avec le littoral. Néanmoins, lorsqu’un morceau de glace se détache d’une falaise devant nos yeux, on se demande ébahi : était-t-il accroché là depuis 10 ans, 100 ou 1000 ans ?

 

 

 


Les animaux

 

Le léopard de mer est le plus dangereux et le plus féroce des phoques.

Son mets de prédilection reste le krill, les poissons et les jeunes phoques crabiers, mais il est aussi connu pour décimer une colonie de manchots en quelques semaines. Il les traque dans l’eau en les surprenant par en-dessous, leur attrape les pattes et revenant à la surface, les secoue violemment contre l’eau. Cette technique a pour but d’achever la proie et de ramollir sa chair que le léopard des mers peut ainsi manger plus facilement (car sa dentition n’est pas suffisamment développée pour déchiqueter). Rapide et puissant, c’est un prédateur capable d’effectuer des sauts de plus de deux mètres hors de l’eau. Autant dire que les marins le fuient comme la peste car il goûte autant aux boudins des annexes gonflables qu’aux manchots !

 

Au loin, nous apercevons le jet d’une baleine dans la lumière rasante du soir… On attend, hors d’haleine. Des dauphins, nous en avons vu par centaines, mais des baleines, c’est la première fois depuis notre départ de Nantes ! Elle se montre à nouveau, puis deux, puis trois. Une mère et son baleineau sont aussi de la partie. Un ballet s’enchaîne alors dans la lueur du soleil couchant.

Contrairement à ce que l’on croit, les baleines à bosse n’ont pas de protubérance sur le haut du dos. En revanche, elles courbent fortement leur dos lorsqu’elles sondent (ou plongent), en formant une bosse marquée, d’où leur nom. A plusieurs reprises, nous approcherons en dinghy des baleines. L’une d’elle plongera même sous Anao, faisant passer le sondeur de 30 à 11 mètres en quelques secondes ! Nous les approcherons aussi de très près en annexe : jamais elles ne feront de mouvement brusque nous mettant en situation de chavirer… ces animaux sont incroyablement pacifiques et se meuvent avec un agilité aussi gracieuse qu’émouvante.

 

Nous verrons en Antarctique trois types de manchots : les manchots à jugulaire (dont l’élégant trais noir en dessous du menton le rend facilement reconnaissable), les manchots Adélie (tête toute noire) et les manchots papous (tête noire et blanche). 

Les manchots royaux et les manchots empereur ne sont pas observables au sein de la petite partie navigable de péninsule antarctique où se rendent les voiliers. En revanche, ils sont présents aux Malouines, en Géorgie du Sud et dans certaines grandes colonies du continent antarctique.

 

Un bébé phoque crabier prenant la pose.

Les animaux sont incroyablement faciles à approcher. L’homme n’étant pas un prédateur pour eux, il est possible de les observer de près. Impassibles, les phoques crabiers et les phoques de Weddell passent une bonne partie de leur temps à dormir et soupirer de plaisir dans la neige comme nous sur une plage de sable fin. Leurs corps de plusieurs centaines de kilos fument au contact de l’air froid et il est possible d’observer le mouvement de leur cœur battre sous leur épaisse couche de graisse.

 

Un manchot papou albinos que nous croiserons à la base chilienne Videla.

 

Une adorable petite otarie avec en toile de fond le magnifique cap Renard, gardien du détroit de Lemaire s’ouvrant sur la droite.

 

Plongeon à la chaîne !

 

Ils rotent, pètent, éructent, baignent dans leur morve. Pas de pitié pour les éléphants de mer, ces animaux aussi énormes que repoussants !

L’éléphant de mer du sud est le plus grand des phoques. Les mâles qui sont trois fois plus gros que les femelles peuvent mesurer jusqu’à 6 mètres et peser 3,5 tonnes. L’espèce doit son nom à la trompe qu’il a sur le nez. Cet animal surprenant passe le plus clair de son temps sous l’eau à se nourrir de poissons et de calamars. Pour ce, il effectue des plongées d’une vingtaine de minutes entre 400 et 1000 mètres de profondeur (et parfois bien plus profond encore). Cette capacité d’apnée exceptionnelle lui permet de se sauver des prédateurs qui ne peuvent plonger aussi bas. Au moment de la reproduction, les mâles constituent des harems de plusieurs dizaines de femelles. Les pachas veillent en permanence à maintenir leur domination sexuelle et rappellent à l’ordre les resquilleurs éventuels par des grognements menaçants ou une course-poursuite.

 

 


Navigation en aqua incognita

 

 

En navigation… en lévitation…

 

Quand le capitaine décide de jouer au brise-glace on se retrouve avec un drapeau tricolore d’antifouling sur la banquise !

 

Dès que possible nous naviguons à la voile, souvent au portant sous génois seul afin de mieux admirer le paysage et faciliter le slalom entre les growlers – sinon, gare aux bosses sur la coque.

En revanche les approches de mouillage se font toujours au moteur car ce sont souvent des coins confinés entre haut fonds, rochers et iceberg. Les amarrages sont aussi longs à mettre en place. Entre les mouvements de glace à anticiper, les profondeurs parfois grandes, le manque de cartographie fiable et les bouts à porter à terre « en étoile », on reprend parfois la manœuvre de mouillage avant que la pioche de soit bien plantée et le bateau positionné comme voulu.

 

Nous voici au mythique mouillage dit d’Entreprise qui n’est autre que le nom du bateau-usine de l’époque baleinière échoué dans la baie.

Suite à un incendie, Entreprise est abandonné par son équipage ayant trouvé refuge à terre. On distingue encore clairement sous la rouille et les nids de sternes la machinerie à moitié enfoncée sous l’eau. Un voilier italien est à couple de nous. De l’autre côté, il s’agit du bateau de Dion Poncet, le fils de Jérôme Poncet surnommé le Pape des glaces pour avoir été le premier Français à se rendre en Antarctique sur Damien en 1973 et à avoir ensuite hiverné avec sa compagne en 1978.

 

 


Et les hommes dans tout ça ? 

 

 

En Antarctique, on est loin d’être seuls au monde. Avec 50 000 touristes par an, le continent blanc reçoit son lot de visiteurs aisés. Seulement à deux jours de mer au départ d’Ushuaïa en paquebot, les croisières se succèdent à un rythme soutenu de décembre à mi-mars. 

Il est possible de descendre à terre pour observer la faune et la flore, faire du kayak, de la plongée sous-marine ou bien encore du ski de randonnée. Certains happy few se feraient même déposer en haut des montages en hélicoptère avant de chausser les skis ! D’autres encore survolent la péninsule en avion.

Toutes ces activités touristiques exotiques sont encadrées par des règles strictes de sécurité et de respect de l’environnement depuis la signature du Traité de l’Antarctique. Établi en 1959 par 12 pays, les signataires sont aujourd’hui au nombre de 53, parmi lesquels la France. Les États qui souhaitaient participer à l’administration du contient – qui n’a ni population indigène ni gouvernement central – doivent apporter la preuve de leur engagement en menant des recherches scientifiques. Ainsi, le continent blanc est une terre de paix et de science. Mais pour combien de temps encore ? Car ce traité ne court que jusqu’en 2049…et l’Antarctique possède de grandes réserves d’hydrocarbures et de gaz qui pourraient attirer bien des convoitises.

Mais au-delà des appétits politiques, c’est bien le réchauffement climatique la plus grande menace. De grands changements ont déjà eu lieu, entraînant implacablement la fonte des glaciers, la diminution de la banquise en hiver et une déstabilisation irrémédiable de la faune et la flore. La surpêche et le prélèvement de krill (pour produire notamment des huiles essentielles) menacent eux aussi la chaîne alimentaire. En bref, si la totalité de la calotte glacière antarctique venait à fondre un jour, le niveau de la mer monterait de 60 mètres sur l’ensemble du globe, inondant une grande partie des côtes qui sont des lieux à très forte densité humaine ! Ce scénario n’est pas pour demain, mais il souligne la nécessité absolue de réduire notre impact environnemental et de protéger les océans.

 

 

La base chilienne de Videla où 12 hommes vivent pour quelques mois l’été. Équipés d’une connexion Internet depuis 2015, ils peuvent communiquer par Whatsapp avec leurs familles.

 

La base scientifique ukrainienne de Vernadsky nous laissera un souvenir intarissable.

Attention fini de rigoler, derrière ces murs de tôle verte se cache un haut lieu de la science en Antarctique, la base annuelle de Vernadsky. C’est ici que le trou dans la couche d’ozone a été détecté pour la première fois. Rachetée en 1996 par l’Ukraine contre un pound symbolique au Royaume-Uni, la station avait été construite et exploitée depuis 1947 par les Anglais pour des programmes de recherche allant de l’étude des couches de l’atmosphère à la glaciologie. Ses 12 hivernants dont la moitié se consacrent à des études et l’autre au fonctionnement de la base, sont plus disponibles pendant les mois d’été et font volontiers visiter leurs bâtiments aux équipages de passage. Leur bar purement british (avec billard et jeux de fléchettes) ainsi que leur vodka maison distillée sur place sont désormais célèbres et tiennent une place à part dans le cœur des marins habitués de la zone !

 

Nos amis Ukrainiens à bord d’Anao pour un goûter. Curieux des voiliers qui viennent s’aventurer devant leurs fenêtres, ils sont heureux de venir partager un moment avec les équipages de passage.

 

Avec ses 300 touristes journaliers pendant l’été austral, Port Lockroy est le site le plus visité d’Antarctique. Pour les paquebots de 500 personnes, le staff du musée monte à bord avec un petit film à visionner.

De jolis bâtiments rouges et noirs, l’Union Jack qui flotte au vent : pas d’erreur, nous sommes en territoire britannique. Ancienne base militaire de la Seconde Guerre mondiale, le site a ensuite été dédié à la science puis converti en musée à partir de 1996. Marcher sur ce petit territoire est un enfer, on rencontre des plots partout pour signaler le sens de circulation. Dans notre dos, une jeune femme intervient : « Non, s’il-vous-plaît Monsieur, par la droite pour doubler le manchot, voilà merci ». A l’intérieur, des objets d’époque évoquent le travail des scientifiques et leur vie quotidienne. Mais le gros de l’attroupement se situe dans la très chic boutique de souvenirs (vive le téléphone satellite qui permet le paiement par Visa). Au milieu de t-shirts au logo du musée à 100$, de peluches-phoques, de porte-clefs-icebergs, de verres à shooter, de boucles-d’oreille-baleine et de boutons-de-manchettes-pingouin, on trouve aussi des laisses pour chiens (?!) et quand même quelques beaux livres et des cartes. Seule chose abordable : des cartes postales à 1$, prix unique pour le monde entier ! Avec les revenus de la boutique et de la poste, l’Antarctic Trust Heritage rémunère les quatre employés, entretient les bâtiments et mène des programmes en faveur de l’environnement en Antarctique.

 

 

 

 


Des sommets pour nous seuls

 

 

Des balades à couper le souffle sur les collines enneigées… 

 

Il est temps de filer, la glace commence à entrer dans Port Charcot. Au loin, on aperçoit le cimetière d’icebergs (ou Salpêtrière). 

 

Une planche de kite en guise de snowboard.

Le capitaine est triste de remettre le cap au nord. Il aurait voulu continuer vers le sud, toujours plus sud, pour dépasser le cercle polaire et s’aventurer là où peu vont. Certains jours, nous regrettons aussi de ne pas pouvoir faire de l’alpinisme. Quand on voit la qualité de ces montagnes, vierges, sublimes, immaculées, qui démarrent au pied de l’océan austral, qui n’ont peut-être même pas de nom et qui n’ont sans doute jamais été gravies par l’homme encore moins dévalées, on se dit : « celle-là, elle est pour moi ! ». Il faudrait avoir des skis de rando, des crampons, de quoi mouffler et s’y connaître pour ne pas tomber dans une crevasse mortelle. Au sommet, on s’attend à voir quelque chose de grandiose, sans vallée, sans route, sans une construction humaine, sans un télésiège. Sans rien que le minéral, la roche, la neige, la glace, l’eau, le ciel et les nuages. Rien que le pur à l’état pur.

 

 

 


Dis, tu crois qu’on reviendra ?

 

Retour par le mythique cap Horn ! Une émotion extraordinaire !

La météo promet du bon vent pour les jours à venir, nous décidons de ne pas laisser passer notre chance et levons l’ancre. La traversée retour vers le cap Horn est souvent plus difficile que l’aller à cause des vents dominants de nord-ouest et du courant qui obligent à faire du près dans du vent fort et une mer formée. Nous partons donc dans le dos d’une dépression, le vent tourne rapidement au sud-est puis sud-ouest, 20-25 nœuds pendant les deux premiers jours, nous cavalons à 7,5 nœuds. Ensuite, progressivement le vent tourne à l’ouest puis au nord-ouest alors que nous sommes encore à quelques 250 milles du cap Horn. Nous avons de la marge dans l’ouest alors nous abattons légèrement.

Le matin du quatrième jour nous fouillons l’horizon à la recherche de la grande falaise, du grand cap mythique, mais le ciel ne nous aide pas dans cette tâche. Mer de plomb, ciel gris et bas, froideur, ce n’est pas un matin de fête. Pourtant nos cœurs sont haletants, nous y sommes presque, nous sommes sur le point de boucler cette descente dans le Sud sauvage. En cadeau nous nous offrirons le plaisir de débouler devant le cap Horn au grand largue. Mais pour l’instant il n’apparaît pas encore… si attendez ! Nous devinons les montagnes hautes en arrière plan, le ciel s’éclaircit, le tableau grandit et s’affine. C’est dramatique de noirceur et de grandeur, nous pensons aux milliers de marins ayant péri à ses abords, luttant rageusement contre le vent de nord-ouest et la houle rendue folle par le plateau continental. La statue de l’albatros géant, symbole des cap-horniers, est face aux flots. Nous savons aussi que dans le phare vit une famille chilienne détachée par la Marine nationale pour un an. Ils suivent une batterie de tests psychologiques et médicaux avant d’être sélectionnés pour vivre dans cet endroit si hostile et isolé. En plus de surveiller le trafic, ils reçoivent les équipages qui débarquent et s’occupent de la petite boutique de souvenirs dont les bénéfices sont reversées à des œuvres caritatives. Quelques heures plus tard nous sommes au mouillage à Caleta Martial, non loin derrière le cap. Il était temps car le vent forcit rapidement et Anao tire sur sa chaine dans 50 nœuds. On se regarde, heureux, vidés, déphasés.  Voilà, c’est fini, nous sommes revenus « sur terre ». Nous ne sommes plus au royaume blanc des glaces. Mais au fond de ma tête, une petite voix me murmure : Dis, tu crois qu’on reviendra ?

 

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