Une île à la beauté subjugante ! Peut-être même notre île préférée des Açores, Flores est une escale bucolique pleine de poésie, entre terre et campagne.
Le paradis sur terre

Lorsque les Portugais découvrent Flores en 1452, ils la baptisent d’un nom qu’elle ne pourrait mieux porter : l’île aux fleurs. Jamais nature n’a été aussi riche et exubérante sur un si petit territoire. L’île est recouverte de millions d’hortensias bleus, de lys rouges et jaunes, d’agapanthes et de roses grimpantes.
Nous sommes ébahis par le mix de végétation. Tant endémiques qu’introduites par l’homme, les espèces sont innombrables. Se côtoient pêle-mêle platanes, yuccas, palmiers, peupliers, eucalyptus, cèdres, pins de l’Himalaya, sapins, bambous, pommiers, figuiers, hibiscus, azalées, fougères…Tout semble pouvoir pousser sur son sol volcanique fertile. Nous ramassons quelques pommes, des mûres, des figues, de la menthe.

Les collines herbeuses et les champs d’un vert tendre rappellent nos campagnes normandes et courent jusqu’à de hautes falaises abruptes de granit sombre au-delà desquelles l’Atlantique reprend ses droits. Y paissent des vaches suspendues aux nuages tels des anges : leur repos semble éternel.
À l’ouest dans les hauteurs on s’étonne alors de cette végétation basse et pelée, battue par les vents. Peut-être un clin d’œil à la désolation de l’ouest irlandais ?
Dans les vallées, des cours d’eau dévalent tels d’immenses serpents argentés au soleil. Ils sillonnent entre de petites parcelles délimitées de murets de pierres et se terminent par de majestueuses cascades dont certaines se jettent dans l’océan. Au centre, le massif Morro Alto surplombe sept lacs formés au cœur d’anciens cratères éteints.


Pourtant, il n’a pas toujours fait bon vivre à Flores
Il faut comprendre que jusqu’au milieu du XIXème siècle, Flores et Corvo sont isolées du reste du monde. La fréquente brume qui s’abat sur ces îles, ainsi que leur éloignement et les difficultés de débarquement y sont pour beaucoup.
Survivant en totale autarcie, les habitants de Flores cultivent le blé, l’igname, les oranges et le tabac. Mais les faibles productions et les difficultés de liaison avec les autres îles ne permettent pas aux îliens de commercer. Ils gèrent aussi seuls les récurrentes attaques de pirates qui pillent et brûlent les villages.
À partir du milieu du XVIIIème siècle, les premiers baleiniers américains recrutent marins et harponneurs parmi la population. Initialement tournés vers le travail de la terre, les habitants de Flores sont étonnamment réputés habiles chasseurs. Beaucoup décident de partir, attirés par les promesses de liberté, d’enrichissement et de modernisme que prône l’Amérique.
En cent ans, la population chute de 12 000 à 4 000 habitants. D’autres décident de rester (ou de revenir) et développent leur propre flotte d’embarcations grâce aux connaissances acquises auprès des Américains.
Chasse traditionnelle à la baleine
Notre balade autour de l’île nous amène à l’ancienne usine baleinière reconvertie en musée.
Nous y apprenons que Flores était un haut lieu de pêche aux cachalots (ici nommé baleia). Cette chasse se pratique en deux temps.
En premier lieu, des vigies scrutent l’horizon aux jumelles. Ces hommes expérimentés sont capables d’indiquer le nombre d’animaux, leur direction, leur vitesse de nage, leur distance par rapport à la côte. Dès que la proie est en vue, ils déclenchent des signaux de fumée pour prévenir les équipes de pêcheurs au village. Ces signaux étaient le plus souvent codés pour ne pas faire bénéficier de leur découverte à d’autres groupes de pêcheurs !
Viennent ensuite l’appareillage et la mise à l’eau des embarcations, qui ne sont autres que de longues et étroites barques à voile non pontées d’une dizaine de mètres. Généralement, six à sept hommes montent à bord et empoignent les rames. Le harponneur se place à l’avant. Lorsque le cétacée est assez proche du bateau, il lancera son javelot monté d’une lame aiguisée comme un rasoir. Si l’animal est touché, il plonge, laissant filer 300 mètres de bout en chanvre parfaitement lové dans la baille à cordage. Afin d’éviter que ce bout ne prenne feu par frottement, un homme est assigné à l’asperger d’eau de mer !
Au bout d’un quart d’heure de combat, l’animal est obligé de remonter à la surface pour respirer. C’est alors que d’autres coups lui sont portés jusqu’à ce que mort s’ensuive. Le cachalot est ensuite remorqué jusqu’au village avant d’être dépecé à l’usine.
Rien ne se perd, tout se transforme
Bien que l’opération soit périlleuse, peu d’accidents sont à déplorer et l’industrie baleinière se développe au point de devenir la seconde source de revenus de l’île. Dans les années 50/60, Flores connaît ses heures de gloire : 1963 reste l’année record avec la prise de 103 cachalots.
Au même titre que le cochon, la baleine est un animal que l’on consomme entièrement. Les os sont broyés pour servir de farine animale. L’huile est utilisée dans l’industrie textile et cosmétique, mais aussi comme lubrifiant. La peau sert de cuir pour les articles de maroquinerie. Les dents sont gravées et vendues comme artisanat local. L’ambre est destinée aux parfumeurs. La chair part à la criée.
Malgré tout, plusieurs facteurs vont faire péricliter l’activité. D’abord la diminution du nombre de cétacés dans la zone, mais aussi la raréfaction de marins et d’harponneurs compétents. Puis c’est la chute du cours mondial de l’huile de baleine et le début les revendications écologiques qui finissent d’affaiblir cette industrie auparavant si lucrative.
En 1981, le dernier cachalot est pris à Flores et trois ans plus tard l’usine baleinière ferme définitivement ses portes. Avec cette fermeture, c’est tout un folklore entourant les prises de baleinas qui meurt lui aussi. Processions religieuses spécifiques, messes à la gloire des marins, chants et des danses traditionnelles ne seront plus.
Le chapitre mortifère vis-à-vis des animaux marins se clôt et la vie reprend son cours. On se tourne à nouveau vers la terre et l’élevage, et rien ou presque ne semble avoir changé à Flores.
Le bar le plus à l’ouest de toute l’Europe
Avant de rentrer au bateau nous nous rendons au mythique bar Maresia. Il est situé à Faja Grande qui est le village le plus occidental de l’île de Flores, elle-même la plus à l’Ouest des Açores.
En portugais, maresia signifie « qui sent la mer ». Joli mot sans équivalent dans notre pourtant si complète et belle langue française… Un comptoir, un canapé, une grande malle remplie de vinyles. Puis la terrasse de trois marches qui fait face à l’océan et aux roches volcaniques noires. Mais le plus important – et le plus détonant dans ce village si calme et isolé – ce sont ces haut-parleurs sur pied qui envoient un son électro aussi puissant qu’excellent. On pourrait dire sans crainte que c’est le bar le plus hipster des Açores.
Le propriétaire est un photographe portugais qui s’attable volontiers avec les clients pour discuter :
– Un jus de fruit, vous auriez ?
– Non, du Coca c’est tout.
– Porto blanc ?
– Ah… non, j’ai fini le dernier verre hier ! (ses yeux brillent de malice)
– Du vin blanc alors ?
– Idem, on a bu la dernière bouteille cette semaine !
Il nous explique que l’approvisionnement n’est pas toujours facile par ici ; la marchandise vient de la capitale, passe par São Miguel, puis Faial avant d’arriver à Flores. C’est le principe de sur-insularité, une petite île qui dépend d’une île plus grosse, qui elle-même dépend du continent.