Sénégal : l’escale du bonheur

Après les Canaries et le Cap-Vert, c’est avec bonheur que nous remettons cap sur l’Afrique. Trois jours depuis Boa Vista et c’est Dakar qui pointe à l’étrave. Pour cette navigation de 350 milles, nous conseillons de partir de l’île de Sal (où l’on peut faire la sortie du pays) pour avoir un meilleur angle jusqu’à la capitale sénégalaise, puisque les vents dominants entre les îles du Cap-Vert et le continent africain sont nord-est (voire est) pendant les mois d’hiver. Si une fenêtre de vent modéré se présente, il faut sauter sur l’occasion, car les gribs que nous avons surveillé quotidiennement les semaines précédentes affichaient toujours 20 nœuds minimum, et souvent beaucoup plus, sur ce trajet. Notez qu’en approchant du Cap Vert le vent de secteur nord est toujours plus fort et qu’il faut s’attendre à prendre des ris.

Immense métropole, Dakar étale son ruban de lumières interminable le long de la côte. Une  odeur entêtante d’encens et d’épices monte jusqu’à nous. On imagine déjà les marchés colorés et les restaurants de rue qui servent le tieboudienne, plat national à base de riz et de poisson.

Il n’existe pas de marina au Sénégal mais les bateaux de passage relâchent généralement au Club des Voiliers de Dakar (CVD) dans la baie polluée de Hann. Accueil sympathique, eau, wifi, petits services de réparation, bar-restaurant : tout le nécessaire à un voilier de voyage est là, quoiqu’il faille parfois bien chercher sous la poussière… Le responsable du Club nous informe : « Avant, on recevait le triple de voiliers étrangers mais maintenant à peine une quarantaine passent ici par an, c’est dommage ».

De retour des formalités en ville, le gardien nous dit : « Il y a un petit problème avec votre bateau… ». En effet, nous retrouvons Anao 300 mètres sous le vent avec deux personnes à bord en train de rajouter de la chaine ! Par chance il a parcouru tout le mouillage sans toucher aucun voisin. Sans doute l’ancre qui avait mal croché…

Une Gazelle mousseuse aidant à faire baisser la température, nous rencontrons au bar du club Diogop et Simon, un jeune couple franco-sénégalais. Ils se proposent de nous accompagner au marché pour nous aider à trouver (et négocier) ce dont nous avons besoin en vue de la transatlantique. Un épicier à qui nous faisons le plein de conserves en marchandant comme des diables nous conviera à manger un tieb derrière le comptoir. Le légendaire téranga sénégalais (hospitalité en wolof) n’est pas un vain mot.

Pour autant, notre séjour à Dakar ne s’éternise pas : nous avons envie de nature et d’eau douce. Cap sur la Casamance. Il est en général très facile de rejoindre la Casamance depuis Dakar (130 milles) grâce aux vents de secteur nord ou est sur une mer sans houle.

Cette navigation se transformera en course contre la montre pour arriver le lendemain avant la tombée de la nuit et avec la marée haute à l’entrée de la passe. Après avoir été au travers en début de journée, le vent adonne et nous envoyons le spi : le speedo remonte à 5 nœuds. Mais nous sommes contraints de l’affaler pour la nuit à la vue des innombrables pirogues de pêche qui jouent de la lampe torche à qui mieux-mieux pour se signaler. A la place nous tangonnons le génois. Au lever du jour nous renvoyons le spi pour ne pas perdre de temps car le vent faiblit.

Il est 18h, les balises AIS qui signalent l’entrée de la passe sont derrière nous et nous embouquons le premier bolon sur tribord. Le fleuve est navigable sur 35 milles jusqu’à la capitale régionale de Ziguinchor. Une fois la barre passée, on oublie vite les vagues océanes et les embruns dans le calme des eaux intérieures. Finies la gite, la houle et les navigations de nuit.

De part et d’autre du fleuve principal bien balisé s’étend un immense labyrinthe de marigots dans lequel on navigue principalement au moteur, avec la marée comme alliée. Le décor est fantastique : la mangrove au premier plan laisse ensuite place aux baobabs, fromagers, cocotiers et palmiers. Une plage ou un ponton se dessinent, annonçant l’escale. Des dizaines de petits villages et de campements sont nichés au cœur des bolons (Djogué, Karabane, Ehidj, Egueye, Nioumoune, Elinkine…). Tantôt chrétiens, tantôt musulmans – mais animistes assurément – on y est toujours bien accueillis.

A vrai dire, le bateau constitue la meilleure manière de visiter ces régions fluviales difficiles d’accès par la terre. Cette navigation lente et calme, avec pour compagnie de gros dauphins placides et nonchalants, permet d’observer la nature luxuriante et le balai des oiseaux. D’un signe de la main, on salue les pêcheurs qui, inlassablement, posent et remontent leurs filets depuis leurs pirogues richement peintes et décorées (les couleurs attireraient les bons esprits et la chance).

Certains jours, le vent est de la partie. Nous déroulons du génois, sans GV, et louvoyons au plus près de la mangrove guettant les sautes de vent, le sondeur et les racines-échasses qui frôlent la coque. Moteur éteint, c’est un délice de se faufiler dans les bolons, sans un bruit, sans une vague. En Casamance, les possibilités d’escapades sont illimitées. Finalement, c’est seulement la hauteur d’eau qui contraint à faire demi-tour. Car le principal « danger » demeure l’échouement sur l’un des innombrables bancs de sable. Il faut garder un œil sur le sondeur, mais à la longue on apprend que les bancs se forment quasi systématiquement à l’intérieur des virages du bolon. On peut aussi ruser en envoyant un équipier en annexe pour sonder et donner la meilleure route par VHF au barreur. Anao cale 1,40m dérive relevée et nous ne talonnerons qu’une fois grâce à cette pratique.

Au village de Kachouiane, Yann, la vingtaine, se fait spontanément notre guide. « Voici la place centrale avec le fromager sacré : les hommes y discutent, prennent le thé et jouent aux dames. Ici, c’est notre l’école qui est ouverte aussi le samedi pour les élèves qui ont des difficultés. Et là-bas, c’est la case des jeunes : on s’exerce à la lutte sénégalaise et aux danses traditionnelles. Il faut en profiter quand on est jeune de danser, car une fois que l’on est marié, il n’est plus permis de danser qu’avec sa femme, et encore, loin des regards des enfants !».

Nous passerons ensuite par les champs de riz où femmes et enfants nous invitent à déjeuner. Sans surprise nous nous accroupissons autour d’une grande gamelle de riz brisé et de poisson. Puis nous continuons à marcher sous un soleil de plomb le long des pistes de brousse rouges de poussière. « On va aller voir les gars qui extraient le vin de palme deux fois par jour. C’est LA spécialité de Casamance ». D’un ton malicieux, il ajoute : « Ça tombe bien, la récolte du soir est plus chargée que celle du matin ! ». Dans une petite oasis de palmiers, trois hommes déjeunent. Adama, la cinquantaine, le corps musclé et svelte, nous salut. Il empoigne sa ceinture faite de lianes tressées, l’ouvre, y enserre le stipe d’un palmier puis la referme en la calant dans son dos, le long des reins. Agile comme un singe, il met moins d’une minute à monter en haut du palmier – à 15 mètres au-dessus du sol – pour récolter la sève écoulée dans la bouteille en plastique prévue à cet effet. Il redescend aussi vite et nous tend la liqueur blanchâtre. C’est bon, laiteux et pétillant, ça descend tout seul.

Le reste du séjour s’écoule ainsi au rythme casamançais. En balade, on ramasse des pains de singe, le fruit du baobab et de retour au bateau on s’essaye à faire du bouye (boisson traditionnelle tirée de ce fruit acidulé). L’annexe nous permet d’aller explorer des bolons à très faible profondeur d’eau et d’admirer la mangrove et les oiseaux. A marée basse, les racines-échasses des palétuviers découvrent de petites huîtres bien fameuses.

Voyager en Casamance est également synonyme d’immersion culturelle en pays diola, l’ethnie la plus traditionnelle du Sénégal. Le maraboutisme, les fétiches et les croyances animistes y sont très présentes. Si vous restez longtemps dans la zone, les occasions de découvrir cette magie ne manqueront pas tant les fêtes de toute nature, commémorations et mariages sont nombreux.


Les +

  • Pas de visa pour les Français (3 mois gratuits en arrivant sur place)
  • Formalités d’entrée plutôt faciles (mais pas forcément rapides) : visite de la police d’immigration et des douanes, ainsi que de la capitainerie qui délivre un « passavant » (permis de circulation) d’1 mois. Coût : 5000 CFA quelle que soit la taille de l’embarcation ; renouvelable (en 2016).
  • Formalités de sortie (police d’immigration) possibles  dans de nombreuses villes
  • Pas d’insécurité ressentie
  • Sites historiques (Saint-Louis, île de Gorée), parcs naturels, plages
  • Superbes fleuves à découvrir (Sine Saloum et Casamance)
  • Culture traditionnelle préservée (musique, cuisine, lutte sénégalaise…) et multiethnique
  • Accueil chaleureux
  • Français compris et/ou parlé par beaucoup
  • Approvisionnement varié, mais pas forcément bon marché car de nombreux produits sont importés d’Europe (conserves, lait en poudre…)
  • Possibilité de bricoler facilement (on trouve tout à Dakar)

Les –

  • Dakar est le seul port d’entrée (ce qui oblige à remonter si vous souhaitez visiter Saint-Louis en voilier)
  • Pas de marina dans le pays mais trois possibilités de mouillages à Dakar : l’ADP (Amicale Des Plaisanciers), le CVD (Club des Voiliers de Dakar) et le MARINAS (pour les bateaux ayant un tirant d’eau <1,30m et pouvant s’échouer)
  • Navigation côtière compliquée : forte nébulosité, pêcheurs
  • Présence parfois gênante de l’harmattan qui dépose une fine poussière ocre sur le bateau
  • Navigation plus difficile pendant la saison des pluies appelée « hivernage », de juillet à septembre
  • Présence du paludisme selon la saison
  • Vaccin fièvre jaune recommandé