La remontée des canaux chiliens : partie 2

Glacier Tempanos

Le soleil revient pour une semaine, du jamais vu ! Couplé d’un léger vent de sud, c’est inespéré ! Nous mettons les voiles vers un nouveau glacier dans le Seno Tempanos. Tout est si calme qu’aucune ride ne se forme à la surface de l’eau. Le temps s’améliore fréquemment à l’approche des glaciers car la masse d’air froid qui s’en dégage crée un phénomène anticyclonique local caractérisé par une absence de vent et un ciel ensoleillé.

Globalement, nous n’avons pas souffert du froid car le bateau est bien chauffé et isolé. Nous avons navigué dans les canaux de fin février à fin juin. L’été, qui est inversé dans l’hémisphère sud, était pourtant passé, mais nous avons rarement eu des températures en dessous de 0°C en journée. Contrairement à ce que l’on lit dans les guides nautiques, il est possible de naviguer toute l’année en Patagonie. En automne, nous avons vu les arbres se parer de couleurs orangées magnifiques et le vent diminue grandement. En hiver, nous avons contemplé les flocons tomber sur la mer et recouvrir les berges d’un cotonneux manteau blanc. C’était à la fois insolite et féerique !


Une journée à la plage 

Depuis longtemps l’envie de quitter les chenaux intérieurs et d’aller vers le large, à la rencontre de la mer, la vraie, nous titillait. Nous regardons sur SAS Planet des photos satellite avant de découvrir une grande langue de sable sur laquelle nous décidons de faire route. Qu’il est bon de marcher pieds nus au bord de l’eau… Pour Sofia, c’est une expérience inédite. Finalement sa première rencontre avec la plage sera en Patagonie et non en Polynésie !

 


Pas au bout de nos peines dans le Golfe des Peines ! 

Le Golfe des Peines est au Chili ce que le Golfe de Gascogne est à la France. Nous nous retrouvons au près bon plein dans une mer croisée et désordonnée. Une houle de nord de trois mètres percute l’étrave du bateau qui file à 6 nœuds poussé par un vent du sud-ouest soutenu. A l’intérieur les estomacs sont retournés et le mal de mer gagne toute la famille. Sofia est secouée mais entourée de nos bras et de coussins elle arrive à dormir une grande partie de la nuit.

Chauffage coupé, gite prononcée, secousses incessantes, odeur de vomi, vestes trempées, fuite d’eau qui dégouline sur les couchettes du carré, couvertures, duvets, bonnets, bottes en tous sens… quel bazar ! Mais nous ne sommes pas inquiets car Anao suit son cap et maintient une bonne vitesse. L’important est d’en finir une bonne fois pour toute avec ce méchant cap.

Au lever du jour la mer se range. Nous reprenons des forces, commençons à y voir plus clair, à ranger un peu. Vingt heures après le départ nous posons l’ancre et pouvons enfin respirer. La petite reprend des couleurs instantanément et se remet à jouer comme si de rien n’était, cela fait plaisir à voir.

L’entrée du mouillage…

…où la végétation se plisse au gré du vent dominant.

 

 


Spectacle son et lumière à la Laguna San Rafael

La Laguna San Rafael est un grand lac dans lequel vêle le glacier San Rafael. C’est le glacier le plus proche de l’équateur sur Terre. Placé à une latitude de 46°S, c’est un peu comme si nous observions des icebergs flotter à la latitude des Sables d’Olonne (qui est à 46°N).

La passe, avec des courants allant jusqu’à 7 nœuds, illuminée par des rayons de soleil.

 

Sous voile, à l’approche du glacier

Le front glaciaire de 2,5km de long est en recul, comme la plupart des glaciers du monde.

Le temps est parfaitement calme, l’eau lisse comme un lac et le soleil éblouissant. Comme à notre habitude lorsque pareilles conditions sont réunies, nous coupons le moteur pour savourer le spectacle au calme, une tasse de café dans une main, l’appareil photo dans l’autre. Au loin, un petit grondement se fait entendre. Avec ce soleil et au plus fort de la « chaleur » de l’après-midi, il est normal que la glace fonde et se détache de la paroi. Nous avons vu ces phénomènes à de nombreuses reprises en Antarctique. Mais ce qui va suivre sera sans commune mesure avec ce que nous connaissons. C’est alors qu’un énorme morceau de glace s’effondre dans un fracas d’écume enneigée. « Jalil, viens voir ! ». Il saute dans le cockpit et nous restons bouche bée, puis ne cessons plus de crier : « noooon, ahhh, regarde, mais regarde, whaaa !!». Nous n’avons pas pu apprécier la taille du morceau effondré car le bloc a disparu un moment sous l’eau avant de remonter à la surface comme un bouchon de liège. Puis il s’est disloqué en plusieurs sous-morceaux qui à leur tour se sont mis à virevolter, se retourner et flotter de façon anarchique. Quelle grandiose et terrifiante Nature ! Quelle montée d’adrénaline !

 


Romilio le solitaire

Non loin de la Laguna, nous découvrons une petite maison de bois rudimentaire. C’est là que vit Romilio, un Chilien de 79 ans établi ici depuis 20 ans. Il est svelte et agile, l’œil plein de malice et le sourire édenté d’une incroyable douceur. Seul problème, il est sourd comme un pot ! Alors c’est surtout lui qui parle car il n’entend pas les questions que nous lui posons. Il dit ne pas s’ennuyer. Qu’entre les pêcheurs, les voiliers et les bateaux de tourisme il voit du monde défiler sous ses fenêtres. Normalement en haute saison il y a jusqu’à six bateaux-rapides de touristes par jour. Mais avec le Covid-19, plus rien. « Avec cette pandémie, j’ai été privé de ravitaillement pendant trois mois ! ».

Nous irons prendre le maté dans la petite pièce qui lui sert à la fois de cuisine, garde-manger, atelier et chambre à coucher. L’odeur de la viande crue qui boucane au-dessus du poêle me coupe légèrement l’envie de tirer sur la bombilla mais je fais honneur car le moment est convivial.

Nous nous relayons pour porter Sofia car tout est si sale que nous ne pouvons la poser nulle part. Elle ne lâche pas des yeux la bonne cinquantaine de mouches qui virevoltent et se cognent frénétiquement aux vitres, attirées par la viande rance qui pendouille au-dessus de nos têtes. Ce spectacle semble l’enchanter. Je détourne mon attention quelques minutes quand je la vois triturer de ses petits doigts une mouche morte dans la poussière. « C’est sympathique tout ça mais il est temps de rentrer, n’est-ce pas mon chéri ? ». L’avantage avec un bébé, c’est que l’excuse de la couche sale est une manière bien commode pour prendre congé en toute politesse. 😉 Nous saluons chaleureusement Romilio et nous retirons sur Anao qui nous semble propre comme un sou neuf.

 

 


Adieu Grand Sud  

Le contrôle sanitaire à Puerto Aguirre est une plaisanterie : le thermomètre laser braqué sur nos fronts indique 33°C ! Evidemment, nous sommes sur le pont depuis plusieurs heures, il ne pouvait pas en être autrement… Cette escale nous plombe un peu le moral car nous ne pouvons pas débarquer et nous apprenons que Chiloé est aussi sous cordon sanitaire. La police maritime nous demande de nous occuper de nos visas déjà expirés. Mais tous les bureaux de l’immigration sont fermés (sauf celui de l’aéroport de Santiago) et nous n’avons pas Internet à bord pour faire les démarches en ligne. Nous pensions, naïfs, qu’il y aurait une faveur de fait par les autorités chiliennes au vu de la situation d’urgence, il n’en est rien. La réalité nous rattrape, il va falloir régler ces tracasseries administratives.

La présence de l’homme est désormais visible partout (pontons, maisons isolées, petits villages, bouées de pêche). On a le sentiment que « c’est fini ». Il est temps d’avancer, la Polynésie est encore loin. Mais qu’il est dur de s’arracher au vagabondage dans le grand sud, à sa quiétude, à sa beauté, à cette ambiance que nous chérissons tant. Nous réalisons que ce silence, cette bulle de solitude, cette nature pour nous seuls, tout cela est derrière nous et que la grande Ile de Terre de Feu qui a vu naître Sofia est à des centaines de kilomètres.

 


Chiloé puis Puerto Montt

On dit de Chiloé que c’est la perle de la région. Un joli mélange de mer et de campagne avec une culture insulaire forte, de très belles églises en bois datant des Jésuites, une mythologie séculaire et des paysages bucoliques. Les Français s’amusent souvent à dire que Chiloé ressemble à la Normandie sur fond de Haute-Savoie !

Les champs en terrasseLes Andes et ses volcans enneigés

Village de pêche typique

Très jolies maisons secondaires


La population vit majoritairement du maraîchage et de l’élevage, ainsi que de la pêche, la pisciculture et la production d’algues.

La pisciculture fait vivre de nombreuses personnes mais défigure aussi le paysage.

Le tourisme représente une nouvelle manne. Reste à concilier préservation des traditions et développement économique.

Nous ferons ensuite route sur Puerto Montt, gros port de pêche industrielle, puis sur le magnifique Estero Reloncavi, avant de naviguer directement pour Valdivia, notre utile escale au Chili.

 


Valdivia : derniers préparatifs avant la traversée en solitaire 

La pandémie mondiale complique nos plans car l’île de Pâques ainsi que l’île de Pitcairn sont fermées, il est interdit d’y débarquer pour protéger les populations locales. Sans ces escales pour couper la traversée entre le Chili et les Gambiers, il faut tabler sur environ 35 jours de navigation, voire plus car les aléas en mer peuvent être nombreux. La première partie du trajet est la plus difficile, avec des vents et des conditions de houle variables, jusqu’à toucher les alizés réguliers et soutenus plus au nord.

C’est pour cette raison que le second, pas fanatique des longs séjours en mer, a décidé que s’épargner cette longue traversée, surtout qu’avec un bébé à bord, la tâche semble ardue. Jalil partira donc seul pour les Gambiers et nous le retrouverons en Polynésie par voie aérienne.

Espérons que notre plan fonctionne et que les frontières ne se referment pas d’un côté ou de l’autre… En attendant, nous croisons les doigts et savons qu’Anao connait le chemin de la Polynésie.

 

 


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