Houat, première et dernière escale française

Sandra, une colombienne rencontrée en chemin


D’azur à une fleur de lys de mer d’argent (blason de l’Ile d’Houat)

Les bateaux mouillent en nombre devant la jolie plage de sable fin qui s’étire à l’est de l’île. Nous arrivons peu avant le coucher du soleil dans cette baie protégée du vent de secteur NW. De la cinquantaine de bateaux mouillés ce soir-là se détachent un beau ketch en arrière fond, ses deux mâts fièrement dressés, et deux ou trois beaux bateaux de voyage, dont l’un pavillon espagnol. Malgré le monde nous trouvons un endroit nous permettant un évitage suffisant avec nos voisins au cas où le vent tournerait. L’ancre crochée, nous nous endormons rapidement au rythme de la très légère houle. Partis à 5 heures du matin des Portes de l’Atlantique avec le jusant, nous avons descendu la Loire au moteur jusqu’au Pont de Saint-Nazaire puis navigué toute la journée au près bon plein, par force 2 à 3.

L’île est superbe et comme ambivalente. Elle est aussi déchiquetée par les rochers mordant la mer au nord, que plate et bordée de longues bandes de sable chaud au sud. Une dame de pique en somme. Pile, c’est l’austérité bretonne : un plateau granitique recouvert de fougères, d’ajoncs et de chardons, le mousseux d’écume sur les marrons scintillants de la roche, le vert bouteille des algues à marée basse. Face, c’est le bonheur du baigneur : les lys de dunes ondulant sagement au gré du vent, le rond et le blond du sable, l’eau fraîche et vivifiante.

 

Du mouillage à la terre

 

Nous accostons sur la plage centrale et gravissons le chemin pierreux qui mène au village. Les maisons blanches, coiffées d’ardoise, défilent doucement le long de la rue centrale. Leurs volets sont peints dans un camaïeu de bleus et de verts qui semble infini. Les roses trémières sont partout, garnissant trottoirs, jardinets et terrasses. Leurs tiges ainsi tendues, elles semblent implorer les rayons estivaux de venir un peu plus à elles, pareilles à de jeunes courtisanes assises au balcon, les joues poudrées de rose, tordant le cou à n’en plus pouvoir afin de recevoir quelque faveur du roi.

 

 


Un charme certain émane de l’endroit, à la fois suranné et désuet

Pas de voiture, peu de bruit. Les gens se déplacent lentement, tantôt pieds nus ou à bicyclette. On se sent immédiatement chez soi et chacun se salue. Un bureau de poste, une boulangerie, une épicerie, un magasin de souvenirs. L’île ne s’encombre pas de superflu. Plusieurs bars tout de même ! De quoi réchauffer les cœurs quand les mauvais jours pointent leur nez. Car si le temps nous paraît déjà suspendu en pleine saison estivale, on peine à imaginer le rythme hivernal des 300 îliens qui vivent ici toute l’année.

 

Le charme suranné des rues de l’île

 

Souvent entrouvertes, fenêtres et portes attirent irrémédiablement le regard malicieux du badaud qui, ne pouvant refréner sa curiosité, tente un coup d’œil à la dérobée derrière les rideaux de dentelle. Un gros buffet sombre, des peintures de mer, des gamelles qui sèchent près de l’évier, des serviettes de plage suspendues, et, si l’on a de la chance, des petites grand-mères en chemisier et jersey qui tricotent ou roupillent sur une chaise de cuisine en formica. On se croirait dans un film des années 60.

 

 


Finalement, que sait-on de la vie sur cette petite île de 3 km² ?

C’est au petit musée de l’Eclosarium que nous apprenons les grandes lignes de l’histoire de l’île située à 10 MN de Quiberon. Autrefois reliée au continent (-6000 avant JC), puis détachée de celui-ci du fait de la montée du niveau de la mer, Houat faisait alors partie d’un même système insulaire avec Hoëdic, jusqu’à ce que les deux îles se séparent vers -4000 avant JC. Il semblerait que les premières traces de sédentarisation (agriculture, pêche au phoque) se situent autour de -3200 avant JC. Appartenant aux Celtes Vénètes, l’île tombe aux mains des Romains en 56. La christianisation débute avec Saint-Gildas (nom du port actuel), un moine écossais ayant fui son pays à cause des invasions saxonnes. Suivi par de nombreux disciples, Saint-Gildas fonde par la suite un monastère sur la presqu’île de Rhuys (aujourd’hui Abbaye de Saint-Gildas-de-Rhuys). Du XIVe au XVIIe siècle, l’île subit de nombreuses attaques de pirates anglais.

 

La pêche, première ressource de Houat

Le port

 


Une position stratégique

A mi-chemin entre Lorient (siège de la Compagnie des Indes) et l’estuaire de la Loire, la position géographique de Houatest stratégique et attise tour à tour les convoitises de l’Angleterre, de la Hollande et de l’Espagne. Au XVIIIe siècle, l’essor de l’île repose sur la pêche à la sardine : les Houatais pêchent pour leur propre consommation et utilisent également leurs sardines comme monnaie d’échange, notamment auprès de leurs voisins bellilois contre des pommes de terre. La pêche de crustacés (homards, crabes) est elle aussi répandue et les ventes se font à Auray, Vannes et parfois même Nantes.

De la Révolution à la fin du XIXe siècle, Houat dépend de Belle-Ile et est régie par la Charte de Houat et d’Hoëdic. À l’époque, le régisseur de l’île porte toutes les casquettes : curé, maire, officier d’état civil, enseignant. Houat devient une commune en 1891, dans le cadre du canton de Quiberon. L’électricité arrive en 1963, suivie de l’eau potable en 1967. Ce n’est qu’à partir de 1989 qu’un médecin est présent à temps plein sur l’île (auparavant il ne rendait visite qu’une fois par mois aux îliens). Suite à la raréfaction de la sardine dans les eaux bretonnes, une écloserie de homards est montée en 1972 sur l’île pour tenter de renouveler les viviers de pêche. Elle est fermée une dizaine d’années plus tard, faute de rendement. Cependant, la pêche représente toujours la première activité économique de l’île, Houat demeurant la commune de Bretagne avec le plus grand nombre de gens de mer par rapport à sa population active.

 

 


Après ce petit aparté historique, revenons-en à Anao

En navigation dans le Golfe de Gascogne

 

Une fenêtre s’ouvre pour nous, avec du vent modéré de secteur nord, il faut partir pour l’Espagne. Le premier jour Anao a bien marché, avalant 140 MN en 24 heures. Le second jour, le vent tombe tout à fait. Pour cause, une dorsale (zone de hautes pressions atmosphériques) en provenance de l’anticyclone des Açores se déplace sur le golfe. Le bateau marche au ralenti, à 3 nœuds de moyenne, mais nous maintenons notre cap malgré tout. Un peu plus tard, nous apercevons le jet d’une baleine au loin ! Par quatre fois, nous voyons les gouttelettes d’eau qu’elle envoie retomber vaporeusement dans la lumière du soleil. On la regarde s’éloigner, fascinés… et soulagés.

A deux reprises, nous croisons aussi des bancs de dauphins. Ils nagent d’un franc-bord à l’autre du bateau avec une agilité surprenante et sautent devant l’étrave avec ferveur, semblant tout simplement beaucoup s’amuser. Nous pensons qu’ils adaptent leur course à la vitesse d’Anao, car nous marchions respectivement à 7,5 nœuds et 3 nœuds lorsqu’ils nous ont rendu visite, et à chaque fois, leur vitesse de nage était sensiblement similaire à celle du bateau. Le troisième jour le vent reprend (toujours de secteur Nord) et la Galice se dessine au loin.

 

 


Bienvenus à la fête du merlu !

Pas de route, pas de poteaux électriques, pas d’habitations, seules quelques éoliennes au loin : la côte est vierge et accore.Nous décidons de relâcher dans l’une des ría altas qui nous paraît protégée. Il s’agit de Puerto Viveiro (Pueblo Celeiro). La ría s’ouvre sur des collines verdoyantes plantées de hauts conifères plongés dans une légère brume. A l’approche de la terre, notre odorat reprend ses droits : l’odeur de la pinède nous réchauffe le cœur. Ressentir la terre après avoir été au large est une expérience fantastique, car en mer le corps humain ne perçoit plus aucune odeur à part peut-être l’iode des embruns sur la peau.

La ría est déserte, seuls trois voiliers sont au mouillage. Une grande digue grise bordée de blocs de ciment sépare le port de pêche de la ville. Aux jumelles, on ne voit personne sur la plage, personne sur le remblai : l’endroit est comme abandonné. Les bâtiments massifs à flanc de colline ont un petit quelque chose de l’époque soviétique, alignés de façon militaire et peints uniformément. Intéressant ce coin de Galice…. on se croirait plutôt dans une ex-base marine albanaise ! Nous décidons de poursuivre plus près de la plage. Après avoir passé la jetée du port, nous constatons que tous les bateaux de pêche arborent des banderoles frangées de petits drapeaux triangulaires de couleurs vives et une musique aux airs balkaniques nous arrive tout droit d’enceintes cachées on ne sait où ! Ah, finalement, il y aurait de l’animation… Nous mettons rapidement pied à terre dans le petit port de pêche aux façades écaillées, avec à leurs fenêtres les étendards galiciens qui flottent au vent. Les bars sont animés ce soir et l’air est chargé de cette odeur de friture indissociable de tout bon pueblo espagnol qui se respecte. Derrière la rue principale se cachent des manèges de foire et une scène d’où provient la fameuse musique. On lève la tête pour lire l’inscription : Fiesta del merluza (fête du merlu) !